Mon arrivée au Japon, 2
Bonsoir.
Me voilà à nouveau avec vous. Je suis bien installée, avec ma tasse de thé chinois, le grand calme de la nuit, et mes souvenirs plein la tête... Je me fais l'effet du conteur le soir à la veillée... Je suis prête à continuer mon récit d'hier: mon arrivée au Japon par bateau, il y a 37 ans.
Quand je vous ai quittés hier soir, nous étions dans la voiture pour aller de la gare maritime de Yokohama à la maison de ma belle-famille dans cette partie de Tokyo qui est l'arrondissement de Setagaya, pas loin du parc de Inokashira.
Maintenant, je suis capable de donner ces précisions. A ce moment-là, je ne comprenais évidemment strictement rien à l'itinéraire suivi, aux endroits où nous passions... Et contrairement à son habitude, mon mari était avare d'explications. Rappelons-nous qu'il retrouvait son pays et sa famille après quatre ans et demie de séparation.
J'ai le souvenir un peu vague qu'il y avait eu un premier arrêt de la voiture; j'ai naturellement cru qu'on était arrivés, jusqu'à ce que mon mari ait enfin le réflexe de me détromper. Du coup, lorsqu'on s'est arrêtés pour de bon, je ne réalisais pas vraiment, surtout que mon mari semblait sans réaction. En fait, sa réaction était, je pense, d'être submergé d'émotions.
Voilà. Le moment est venu de passer du livresque au réel pour la connaissance du mode de vie japonais, ce qui attirait tant ma curiosité quelques années auparavant.
Une maison familiale de plain-pied, traditionnelle. Un grand "genkan" l'entrée pas au sol de terre battue, non, mais c'était presque cette impression. Une pierre qui sert de marche haute pour accèder au niveau où se trouve le plancher ou le tatami selon les parties de la maison. Un couloir central dont les parois sont les portes coulissantes des diverses pièces; le bain à l'ancienne, le Goemon-buro pour ceux qui connaissent: une sorte de grande cuve de fonte avec le feu de bois qui chauffe l'eau, nécessité d'une claie de bois pour poser les pieds sur le fond; le vrai "kyakuma" salon à la japonaise avec son "tokonoma" ou alcove décorative; les WC, eux, pas traditionnels: ils avaient fait faire des toilettes à l'occidentale pour mon arrivée; et le fameux rengaya , la veranda qui longe le côté jardin. Et puis l'autel shintoïste dans telle pièce de la maison et le "butsudan" ou autel des ancêtres dans la petite salle à manger séjour. Et un vrai "kura" ou grenier à la japonaise.
Entrons donc découvrir tout celà.
Oui, c'est vrai, il faut se déchausser dans les maisons japonaises. Il y a tout un alignement de "sulippa-", ou chaussons, tout flambant neuf qui nous attend. Heuuu?? c'est à quel endroit très précisément que je dois enlever les chaussures, entre le sol et la marche c'est où? Bon, maintenant je peux enfiler les savates toute neuves?
Hou la la! on me fait passer en premier! non! trop intimidant! On me fait signe d'avancer le long du couloir puis signe d'entrer dans une grande pièce (le kyukuma) dont les portes étaient grandes coulissées.
Je réponds donc aux gestes d'invite vraiment pressants et fait courageusement 3 pas dans la pièce et j'entends alors un grand cri, proféré par l'aîné des nièces qui avaient alors 19 ans. Je me tourne vers eux: j'ai la vision de tout le monde encore côté couloir, les yeux tournés vers moi et ma nièce (dont je suis maintenant très proche) le visage horrifié faisant de grands gestes du doigt vers le sol en tatami. Je me demande ce qu'il se passe, j'interprète le tout comme l'éventuelle présence d'une souris (si si, je vous jure, rien d'autre n'a su me traverser l'esprit à ce moment-là) mais je ne vois rien de ce genre et ne comprends rien à la confusion générale.
Je vous donne en mille le fin mot de cet épisode: c'était parce que j'avais marché avec les savates - neuves - sur le tatami au lieu d'enlever les savates au seuil de la pièce. Un apprentissage très marquants? non non, rassurez-vous, quand même pas traumatisant!
Ensuite, tout le monde entre dans la pièce, puis on se retrouve tous assis dans les règles de l'art sur le tatami, mon mari et moi face à tous les autres, et en particulier face à ma belle-mère (mon beau-père était décédé quand mon mari avait 10 ans).
Et là, j'ai eu un choc...
Mon mari est soudain devenu quelqu'un que je ne connaissais pas.
Il s'est profondément incliné le front au sol par trois fois en débitant des paroles de circonstances.
Au lieu des grandes embrassades de la plupart des pays occidentaux, c'était la bonne façon respectueuse de saluer sa mère, et les autres, après cette longue absence à l'étranger... Une image qui est restée fortement ancrée dans ma mémoire.
Il était évident que tout le monde se montrait bien intentionné à mon égard, mais ce fut tout de même une journée fatiguante pour moi: je ne comprenais pas grand chose sinon rien de ce qui se disait et, surtout, j'avais le sentiment de devoir réapprendre tous les gestes élémentaires de la vie quotidienne
- apprendre à entrer dans la maison, à entrer dans une pièce de la bonne façon , surtout quand on fait le service, et qu'on le fait pour des invités
- apprendre à ouvrir et fermer une porte, une fenêtre (coulissantes)
- apprendre à saluer les gens comme il faut
- apprendre à m'asseoir (par terre, et d'une façon correcte)
- apprendre à mettre le couvert
- apprendre à me mettre à table (assise par terre, devant une table basse et un tas de petits machins devant moi)
- apprendre à manger (avec les baguettes plus tous les autres détails)
- apprendre à prendre un bain de la bonne façon
- apprendre à faire mon lit aussi
et que sais-je encore...
Déroutant...
Une fois couchée, mon mari me dit "Attends, je reviens" et il est reparti continuer à parler de choses diverses, et de moi aussi je crois, avec sa mère. Ce qui est très très normal et compréhensible. Mais moi, sur le coup, j'ai trouvé le temps encore plus long qu'il ne l'était pour de vrai et j'ai toute la fatigue émotionnelle de la journée qui est sortie, c'est tout juste si je ne lui en voulais pas de ne pas être là à côté de moi à ce moment précis. Ce qu'on peut être inconscient et égoïste, quelque fois!
Cette maison était habitée par ma belle-mère, frère aîné, sa femme, sa fille. Et pendant deux ans et quelques mois, il y eut nous deux en plus...
C'est ainsi qu'a commencé ma vie au Japon, il y a maintenant 37 ans.
Me voilà à nouveau avec vous. Je suis bien installée, avec ma tasse de thé chinois, le grand calme de la nuit, et mes souvenirs plein la tête... Je me fais l'effet du conteur le soir à la veillée... Je suis prête à continuer mon récit d'hier: mon arrivée au Japon par bateau, il y a 37 ans.
Quand je vous ai quittés hier soir, nous étions dans la voiture pour aller de la gare maritime de Yokohama à la maison de ma belle-famille dans cette partie de Tokyo qui est l'arrondissement de Setagaya, pas loin du parc de Inokashira.
Maintenant, je suis capable de donner ces précisions. A ce moment-là, je ne comprenais évidemment strictement rien à l'itinéraire suivi, aux endroits où nous passions... Et contrairement à son habitude, mon mari était avare d'explications. Rappelons-nous qu'il retrouvait son pays et sa famille après quatre ans et demie de séparation.
J'ai le souvenir un peu vague qu'il y avait eu un premier arrêt de la voiture; j'ai naturellement cru qu'on était arrivés, jusqu'à ce que mon mari ait enfin le réflexe de me détromper. Du coup, lorsqu'on s'est arrêtés pour de bon, je ne réalisais pas vraiment, surtout que mon mari semblait sans réaction. En fait, sa réaction était, je pense, d'être submergé d'émotions.
Voilà. Le moment est venu de passer du livresque au réel pour la connaissance du mode de vie japonais, ce qui attirait tant ma curiosité quelques années auparavant.
Une maison familiale de plain-pied, traditionnelle. Un grand "genkan" l'entrée pas au sol de terre battue, non, mais c'était presque cette impression. Une pierre qui sert de marche haute pour accèder au niveau où se trouve le plancher ou le tatami selon les parties de la maison. Un couloir central dont les parois sont les portes coulissantes des diverses pièces; le bain à l'ancienne, le Goemon-buro pour ceux qui connaissent: une sorte de grande cuve de fonte avec le feu de bois qui chauffe l'eau, nécessité d'une claie de bois pour poser les pieds sur le fond; le vrai "kyakuma" salon à la japonaise avec son "tokonoma" ou alcove décorative; les WC, eux, pas traditionnels: ils avaient fait faire des toilettes à l'occidentale pour mon arrivée; et le fameux rengaya , la veranda qui longe le côté jardin. Et puis l'autel shintoïste dans telle pièce de la maison et le "butsudan" ou autel des ancêtres dans la petite salle à manger séjour. Et un vrai "kura" ou grenier à la japonaise.
Entrons donc découvrir tout celà.
Oui, c'est vrai, il faut se déchausser dans les maisons japonaises. Il y a tout un alignement de "sulippa-", ou chaussons, tout flambant neuf qui nous attend. Heuuu?? c'est à quel endroit très précisément que je dois enlever les chaussures, entre le sol et la marche c'est où? Bon, maintenant je peux enfiler les savates toute neuves?
Hou la la! on me fait passer en premier! non! trop intimidant! On me fait signe d'avancer le long du couloir puis signe d'entrer dans une grande pièce (le kyukuma) dont les portes étaient grandes coulissées.
Je réponds donc aux gestes d'invite vraiment pressants et fait courageusement 3 pas dans la pièce et j'entends alors un grand cri, proféré par l'aîné des nièces qui avaient alors 19 ans. Je me tourne vers eux: j'ai la vision de tout le monde encore côté couloir, les yeux tournés vers moi et ma nièce (dont je suis maintenant très proche) le visage horrifié faisant de grands gestes du doigt vers le sol en tatami. Je me demande ce qu'il se passe, j'interprète le tout comme l'éventuelle présence d'une souris (si si, je vous jure, rien d'autre n'a su me traverser l'esprit à ce moment-là) mais je ne vois rien de ce genre et ne comprends rien à la confusion générale.
Je vous donne en mille le fin mot de cet épisode: c'était parce que j'avais marché avec les savates - neuves - sur le tatami au lieu d'enlever les savates au seuil de la pièce. Un apprentissage très marquants? non non, rassurez-vous, quand même pas traumatisant!
Ensuite, tout le monde entre dans la pièce, puis on se retrouve tous assis dans les règles de l'art sur le tatami, mon mari et moi face à tous les autres, et en particulier face à ma belle-mère (mon beau-père était décédé quand mon mari avait 10 ans).
Et là, j'ai eu un choc...
Mon mari est soudain devenu quelqu'un que je ne connaissais pas.
Il s'est profondément incliné le front au sol par trois fois en débitant des paroles de circonstances.
Au lieu des grandes embrassades de la plupart des pays occidentaux, c'était la bonne façon respectueuse de saluer sa mère, et les autres, après cette longue absence à l'étranger... Une image qui est restée fortement ancrée dans ma mémoire.
Il était évident que tout le monde se montrait bien intentionné à mon égard, mais ce fut tout de même une journée fatiguante pour moi: je ne comprenais pas grand chose sinon rien de ce qui se disait et, surtout, j'avais le sentiment de devoir réapprendre tous les gestes élémentaires de la vie quotidienne
- apprendre à entrer dans la maison, à entrer dans une pièce de la bonne façon , surtout quand on fait le service, et qu'on le fait pour des invités
- apprendre à ouvrir et fermer une porte, une fenêtre (coulissantes)
- apprendre à saluer les gens comme il faut
- apprendre à m'asseoir (par terre, et d'une façon correcte)
- apprendre à mettre le couvert
- apprendre à me mettre à table (assise par terre, devant une table basse et un tas de petits machins devant moi)
- apprendre à manger (avec les baguettes plus tous les autres détails)
- apprendre à prendre un bain de la bonne façon
- apprendre à faire mon lit aussi
et que sais-je encore...
Déroutant...
Une fois couchée, mon mari me dit "Attends, je reviens" et il est reparti continuer à parler de choses diverses, et de moi aussi je crois, avec sa mère. Ce qui est très très normal et compréhensible. Mais moi, sur le coup, j'ai trouvé le temps encore plus long qu'il ne l'était pour de vrai et j'ai toute la fatigue émotionnelle de la journée qui est sortie, c'est tout juste si je ne lui en voulais pas de ne pas être là à côté de moi à ce moment précis. Ce qu'on peut être inconscient et égoïste, quelque fois!
Cette maison était habitée par ma belle-mère, frère aîné, sa femme, sa fille. Et pendant deux ans et quelques mois, il y eut nous deux en plus...
C'est ainsi qu'a commencé ma vie au Japon, il y a maintenant 37 ans.